Les BRICS veulent-ils réinventer le monde ? – Comment réconcilier l’ordre mondial occidental et les BRICS ?
Les BRICS attirent de plus en plus l’attention en raison de leur potentiel à changer le paysage économique et politique mondial. Certains experts s’inquiètent de la préservation de l’ordre démocratique libéral défendu par l’Occident, des risques d’incertitude de l’ordre mondial multipolaire défendu par les BRICS, etc. Hicheme Lehmici, expert en géopolitique, Guy Mettan, directeur de l’Institut pour la multipolarité de Genève, et Zachary Paikin, chercheur au Quincy Institute (USA), ont débattu de ces questions épineuses lors de l’Apéro Géopolitique. Celui-ci s’est déroulé le 17 juillet au Château d’Aïre à Genève.
L’Apéro Géopolitique est une plateforme de discussion créée en partenariat avec l’Institut Universitaire des Sciences Appliquées SWISS UMEF afin de soulever des sujets importants et d’approfondir la compréhension des processus géopolitiques en cours, de prévoir des scénarios futurs et de rechercher des solutions et des initiatives de paix. Ouverte par le professeur Djawed Sangdel, directeur de l’UMEF, la discussion a été modérée par la journaliste Ecaterina Cojuhari et a débuté par la dimension économique des BRICS.
Un nouveau changement géoéconomique
Pourriez-vous nous parler du potentiel économique des BRICS et de sa comparaison avec les pays du G7 ?
Hicheme Lehmici : Les BRICS, initialement composés du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, se sont récemment élargis à des nations telles que l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie et les Émirats arabes unis, formant ainsi les BRICS+. Cette expansion soulève des questions sur la reconfiguration de la dynamique du pouvoir mondial. Avec 37 % du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat et près de 50 % de la population mondiale, les BRICS+ dominent économiquement et démographiquement. Ils contrôlent plus de 50 % de la production mondiale de combustibles fossiles et plus de 80 % des matériaux stratégiques et des terres rares. Cette situation remet en cause la domination traditionnelle des économies du G7.
Donc tous ces chiffres, qui sont cités d’ailleurs, nous permettent de dire qu’aujourd’hui le centre économique est davantage tourné vers l’Asie et les BRICS. Il s’agit d’une véritable mutation géoéconomique qui doit être prise en compte et qui, par essence, devrait nous obliger à repenser l’économie mondiale. Ce qui, malheureusement, n’est pas encore le cas. En Europe, nous continuons à résonner essentiellement avec des modèles dépassés. Les BRICS veulent revoir, en substance, le système économique mondial et lui donner de nouvelles règles. Nous connaissons le modèle de la mondialisation, mais les BRICS adhèrent davantage à la logique de l’interdépendance, alors que les pays économiques se qualifient de souverains. C’est-à-dire que les BRICS sont porteurs d’un nouveau modèle économique, d’un nouveau modèle d’échange.
Ils cherchent surtout à remettre en cause la place centrale que le dollar a toujours occupée. Tous les échanges économiques mondiaux se font dans les monnaies américaines ou européennes. Les BRICS sont encore un groupe marginal, mais ils prennent chaque année de plus en plus de poids, notamment dans les échanges entre ces pays. Un exemple des relations économiques ou commerciales entre la Chine et la Russie : aujourd’hui, 95% des échanges entre la Russie et la Chine se font en yuans ou en roubles. Cela représente entre 250 et 300 milliards d’euros. Vous me direz que cela reste insignifiant. C’est vrai si l’on compare, par exemple, les échanges entre les Etats-Unis et l’Amérique du Sud – ils sont de l’ordre de 300-400 milliards de dollars par an. Mais cela reflète un processus que l’on ne peut plus arrêter. Aujourd’hui, l’Arabie saoudite vend son pétrole à la Chine en yuans, à l’Inde en roupies, etc.